MOSTAR réconcilié

Le soleil est déjà impitoyable lorsque je quitte l'appartement climatisé et me décide de me rendre dans la partie Ouest de la ville. J'emprunte un des ponts, le Titov Most( Pont de Tito) qui traverse la Nevretna et arpente ce dimanche matin les rues calmes d'un quartier de Mostar, celui de Gernica, qui borde la Nevretna. Quelques bars ouverts avec leur terrasse faiblement ombragée accueillent de vieux bosniaques sirotant leur café turc Je suis toujours en "secteur bosno-musulman" et il me faut avancer de quelques centaines de mètres vers l'ouest  pour découvrir le "secteur" ouest. Arrivé place d'Espagne, Je longe un bâtiment bardé de trous d'obus, rare vestige du conflit de 93-95 (il y en a aussi quelques-uns dans l'autre secteur). A Chacun ses souvenirs de guerre. Ce bâtiment, haut de 10 étages ancienne banque, servait de repaire aux snipers de deux camps.

Je poursuis ma route,  pénètre dans le parc Zrinjevac et découvre un vieil ami, Bruce Lee. Tout à fait, il est là devant moi, tout en bronze, dans sa posture préférée, bras ouverts, le nunchaku bloqué sous l'aisselle droite prêt à matraquer les méchants.

Pourquoi Bruce Lee dans ce parc? L'histoire remonte à 2004, l'association locale Urban Movement associée à une ONG allemande décide de proposer un projet artistique afin de réconcilier toutes les fractions de la jeunesse de Mostar. Un vote est réalisé auprès d'un panel des jeunes de la cité qui tombent d'accord sur....Bruce Lee. Le sculpteur croate Ivan Fijolic dévoile la statue en 2005; Il s'agit d'une reproduction " grandeur nature" de l'acteur sino-américain. Oui mais problème, car si la jeunesse adore, les nationalistes de tous  bords, eux, n'apprécient pas. Qui est ce Brue Lee, mi comédien, mi philosophe ? Vers quel quartier, est ou ouest, tourne-t-il son nunchaku?   vandalisée et  réparée à plusieurs reprises, la statue, un beau matin, disparaît. S'agit-il d'un kidnapping? La statue, simplement empruntée par son créateur le temps d'une exposition, réapparaît en 2013 dans le parc, 

13 heures, le soleil est au zénith, l'ombre est rare, je la trouve sur une pelouse du parc et en profite pour écrire les cartes postales. Je n'ai pas assez de crédit pour envoyer les photos de mon mobile. J'abandonne vite, j'étouffe sous la fournaise et je préfère retourner à Stari grad, la vieille cité pour déjeûner dans un des nombreux restaurants du bord de la Nevretna. Liquéfié, j'y termine péniblement  mes cartes postales. Une dernière fois, je traverse le Stari most(le vieux pont) et décide de découvrir le sud de la ville, côté bosno musulman. Je longe l'asphalte surchauffée de Marsala Tita sur près d'un km et découvre la jolie mosquée Sarica (prononcez Sarissa photo ci-dessous) bordée du plus grand cimetière musulman de la ville. En face de la mosquée, est édifié le tombeau de Sehj Jujino, c'est à dire de Mustafa Ejubovic(1651-1707), grand intellectuel bosniaque de la période ottomane. 

 Je capitule sous le cagnard et renonce à d'autres visites. Je rebrousse chemin et péniblement rejoins la longue rue piétonne Brace Féjica et me cale sur la terrasse demi-ombrée d'un bar en attendant le train de 19h pour Sarajevo. J'y savoure une ou deux limonades chimiques et sucrées qui me rappellent le "pchitt" citron de mon enfance!  Sur le quai de la gare, se bousculent Mostari et Sarajévites qui se séparent, puis c'est le lent, bruyant et fatigant voyage de retour vers la capitale. Dehors, la nuit descend lentement et dans les épaisses montagnes traversées, les maisons éparses deviennent autant de signaux lumineux rassurants au loin. C'est un tramway grinçant et brinquebalant qui me ramène épuisé mais heureux vers l'Hayat Hostel.